Vingt ans déjà !
Arrêtés le 21 février 1987 , Joëlle Aubron, Georges Cipriani, Nathalie Ménigon
et Jann-Marc Rouillan, « dirigeant historique » du groupe Action directe, sont
détenus depuis vingt ans, en particulier pour les meurtres du général Audran,
Directeur des relations internationales du ministère de la Défense, responsable
des ventes d’armes de l’État français (janvier 1985), et du PDG de Renault
Georges Besse (novembre 1986). Régis Schleicher, jugé pour association de
malfaiteurs, après plusieurs rejets de demandes de libération, entre dans sa
24e année d’incarcération.
Depuis leur condamnation par une cour d’assises spéciale en application
rétroactive des lois « antiterroristes » de Pasqua, les militants d’A. D. ont
été soumis à un programme de destruction, des formes de détentions spéciales
que notre pays est capable d’infliger, de la torture blanche à l’isolement,
jusqu’à la « normalisation » du régime des centrales de sécurité. Joëlle Aubron
a succombé à une tumeur cérébrale. Nathalie Ménigon, victime de trois accidents
vasculaires cérébraux imputables à ses conditions de détention s’est à
plusieurs reprises blessée profondément pour obtenir d’être soignée. Georges
Cipriani souffrant de troubles psychiques a été interné 18 mois dans une
division psychiatrique puis replacé en détention. Tous deux auraient dû être
libérés depuis longtemps pour raisons médicales au titre de la loi Kouchner du
4 mars 2002 dont a bénéficié le préfet Papon. La vindicte de l’État ne se
verrait pas pour autant mise en cause !
« Cet État, si prompt à tourner la page de la collaboration avec l’occupant nazi
et qui amnistia les parachutistes tortionnaires, le quarteron des putschistes
d’Alger, les terroristes de la Cagoule et ceux de l’OAS... Cet État nous rend
un bel hommage en nous considérant, encore et malgré les décennies de cachot,
comme de redoutables ennemis impossibles à libérer, tant le danger que nous représentons à l’air libre serait grand pour lui et ses sbires ! »
Vous avez dit terroriste ?
En quoi les condamnés politiques pour les meurtres d’un marchand d’armes et d’un
exécuteur de plans sociaux mériteraient-ils l’étiquette de terroriste dont se
voit dispensé ce Haut Fonctionnaire galonné et décoré qui, après avoir servi
les nazis, s’illustra vingt ans après dans une ratonnade sanglante ? Les vies
brisées, les drames psychologiques et les suicides ne comptent pas, la violence
de la bourgeoisie œuvre dans l’ombre et le silence. Le mot terroriste est
réservé à ceux qui s’en prennent à l’État et à la personne de ses serviteurs
les plus marquants.
Les peines incompressibles (18 ans) des prisonniers d’A.D. sont terminées depuis
deux ans, mais l’abolition officielle de la peine de mort requiert son
application officieuse. Des tribunaux d’exception ont été créés pour eux en
septembre 1986. Par la rétroactivité de la loi, le sort des prisonniers
politiques est remis aujourd’hui entre les mains de la même section spéciale du
Tribunal de Paris. Le vingtième anniversaire de l’arrestation des militants
d’A.D. est l’occasion de dénoncer ces tribunaux d’exception, et en particulier
la nouvelle structure de l’application des peines mise en place en mai dernier.
Il n’y a pas officiellement de prisonniers politiques en France, mais les
militants d’A.D. sont maintenus en détention. Nier l’existence de prisonniers
révolutionnaires fait partie d’une opération de légitimation permanente
élaborée par l’État. Si les militants d’Action Directe ne sortent pas des cages
de la bourgeoisie c’est parce qu’ils se revendiquent toujours comme des
commu-nistes révolutionnaires. Venus de différents horizons à la fin des années
80, ils avaient rejoint des centaines d’autres venus des luttes anti-Franco, du
MIL , des GARI , des NAPAP , de l’ORA pour former un front anti-impérialiste.
Ils s’opposaient à la guerre froide, à la contre-révolution néo-conservatrice
naissante, à son militarisme déchaîné. L’Europe occidentale et le Moyen-Orient
ont constitué leur premier espace de combat. Action Directe rejoignait la
politique du Front anti-impérialiste définie par la RAF (Fraction Armée Rouge).
Il s’agissait de combattre concrètement le système dominant et de promouvoir
l’organisation de la classe prolétarienne et sa stratégie opérationnelle, la
lutte armée. D’où le mitraillage du siège du patronat français, des groupes
immobiliers, d’organismes exploitant des travailleurs immigrés, du Ministère de
la Coopération, etc.
Vingt ans de résistance
Le vingtième anniversaire de l’arrestation des militants d’A.D. est l’occasion
de dénoncer le durcissement général de la répression des luttes ouvrières. Les
partis fascistes officiels sont présents dans les gouvernements de plusieurs
pays. Partout les droits syndicaux reculent. Les tribunaux traquent les
syndicalistes et les faucheurs volontaires. Des policiers cagoulés et surarmés
interviennent dans les usines en grèves, les collèges, les lycées et les
prisons. Ils contrôlent et humilient une jeunesse condamnée au chômage et à la
précarité. Les révoltés de novembre sont traités de vulgaires délinquants par
l’ensemble de la classe politique. Les magistrats serviles sont prêts à écrouer
jusqu’aux enfants trop remuants. Les lois répressives se surajoutent à un rythme
effréné que les tribunaux ont du mal à suivre. Étrangers et demandeurs d’asile
sont expulsés d’une Europe forteresse soumise au marché, à l’ordre policier et
à la peur. Partout les États livrent une véritable guerre contre les pauvres et
les travailleurs, toujours précaires, soumis à l’exploitation intensive, au
désœuvrement, à la non-vie. C’est l’expression de l’état de guerre global mené
par les monopoles pour le pillage de la planète.
Justice de classe et vengeance d’État
Les militants d’A.D. nous demandent non seulement de résister mais d’inventer
des façons concrètes de combattre l’impérialisme. Revendiquant leur passé
militant et leur appartenance au camp de la résistance révolutionnaire, ils
n’ont jamais abdiqué ni rendu les armes. C’est parce qu’ils récusent reniement
et repentance et refusent un troc infâme, brader l’idéal de fraternité
prolétarienne en échange de leur liberté, que l’État les maintient en prison.
Berlin annonce pour le 27 mars prochain la libération de Brigitte Mohnhaupt, «
figure historique de la RAF », responsable de la vague d’attentats de 1977 et
condamnée à la prison à perpétuité. Après vingt-quatre ans de détention, le
tribunal de grande instance de Stuttgart a décidé de commuer le reste de sa
peine en sursis. La prisonnière n’a jamais fait preuve d’un repentir public et
il ne s’agit pas d’un acte de clémence.
Halte au reniement et à la rançon exigée ! Nous n’implorons pas la magnanimité
de l’État ni ne réclamons une quelconque mansuétude de la part de ses commis
stipendiés, mais exigeons, selon les lois par eux promulguées, la libération
des militants d’Action Directe :
Puisqu’ils ont « purgé leur peine » comme vous dites,
libérez-les !
Jean-Pierre Bastid
15 février 2007
(Commune, n° 45, avril 2007)