Communiqué n° 1
(à tous les amies, amis et camarades qui se sont inquiétés pour moi)
Le 2 avril, j’ai réintégré le Centre de détention de Bapaume. Dans une quinzaine de jours, commencera une suite de soins quotidiens sur une bonne quarantaine de jours. Pour l’heure, n’est pas encore établie la manière dont ils se dérouleront. Ils ne nécessitent pas d’hospitalisation en eux-mêmes. Néanmoins, même si ma qualité de prisonnière au long cours, étiquetée dangereuse qui plus est, entraîne une nouvelle hospitalisation, je compte bien utiliser ces quinze jours pour la préparer. Non seulement j’ai l’énergie pour éviter que se reproduisent les conditions de la première hospitalisation, mais cette fois ma famille et mes proches n’auront pas à revivre les huit premiers jours de l’hospitalisation en urgence du 6 mars. Cela pour dire que je vais bien. Au moment où j’écris, je suis encore stressée par ces quatre dernières semaines, de la conscience de l’inquiétude brutalement suscitée et non résolue avant le 10 mars aux conditions mêmes d’une hospitalisation sous escorte policière. Pour autant, entourée par ma camarade Nathalie et par une camarade basque, Agurtzane, je sens déjà diminuer la tension. Je suis sereine pour aborder cette suite.
Une fois encore, ce sont les mots amour et colère qui définissent le mieux mon état d’esprit. Dans le premier, les amours et les amitiés personnelles s’entrelacent avec l’élan initial de notre engagement pour une libération sociale, politique et culturelle du mode de production capitaliste. La seconde aussi joue ainsi sur les deux tableaux.
Difficile de ne pas relier les conditions de cette hospitalisation, du black-out initial vis-à-vis de ma famille aux menottes m’attachant au lit en passant par une accumulation de consignes prétendument sécuritaires, à une perpétuation routinière par la machine étatique de sa politique à notre égard. L’État nous aime, le seul problème est qu’il a l’amour vache : il s’agit de nous garder encore et encore. Je le sais, nous le savons et c’est aussi contre cet acharnement que la colère sert d’armure dans l’adversité.
Bref, j’espère que ce simili de communiqué vous aura dit l’essentiel : même menottée sur mon lit, encerclée dans un de ces no man’s land dont les administrations répressives ont le secret, me protégeait la chaleur de vos amitiés et nos engagements communs pour changer de société et rendre l’avenir à l’humanité. Carrément !
Joëlle Aubron, prisonnière d’Action directe, 4 avril 04
Communiqué n°2
Décidément il y a du travail ! Du côté du cerveau, il y a de l’agitation maladive ; quand un symptôme est éradiqué, c’est une autre manifestation à l’origine incertaine qui se pointe. Des recherches sont en cours. Le cas est loin d’être désespéré, il est seulement un peu compliqué. En attendant, quelques administrations pavoisent, exerçant leurs pouvoirs sur les corps détenus ; toute honte bue d’en abuser autant. Le 8 avril, ma famille fut certes rapidement avertie par l’Administration pénitentiaire de ce que j’étais hospitalisée et ma camarade, Nathalie Ménigon, restée au Centre de détention, fut également informée de mon transfert au CHRU de Lille. Cependant, cette amélioration ne rompt pas avec la logique de mettre sous caisson isolant ayant caractérisé notre détention, quels qu’aient été les degrés dans sa pression. D’administration répressive en administration répressive, persiste le soucis d’étouffer nos vitalités en coupant dans nos liens affectifs et politiques.
Avant même de quitter Bapaume, j’avais noté une recrudescence des rétentions abusives, voire des vols de courriers. Ainsi, depuis des mois, la direction du CD use et abuse de la censure ; mais en ce mois de mars 2004, elle a encore étendu l’exercice de ses décisions arbitraires. Ces jours-ci, elle a passé le relais. Le préfet est désormais aux manettes. Or, ce 13 avril, je fus informée qu’est caduc le dispositif qui, sur la fin de la précédente hospitalisation, me permit de commencer à rassurer autour de moi. Je ne suis même pas autorisée à adresser un fax à la direction du CD afin d’envisager une issue à cette situation comme je l’avais fait en mars.
Est-ce sciemment ou par inadvertance que la Préfecture du Nord_Pas-de-Calais sabote le moral des corps détenus dont elle a la charge ? Qu’importe, l’effet est le même : le prétexte sécuritaire est une chape de plomb, lisse et pesant il engendre consigne sur consigne, sans état d’âme ou souvenir de conscience humaine...
Mais cela a du bon. Cette arrogance éhontée alimente la composante colère. Et tant qu’il y a de la colère, l’amour envers les bâtisseurs d’un avenir humain porte la réalisation du futur : « Le monde va changer de base. »
Nous repartirons à l’assaut du ciel.
La vieille taupe creuse,
Joëlle Aubron, prisonnière d’Action directe, avril 04