Prisonniers d’Action directe : une histoire oubliée ?
SITUATION DES PRISONNIERS D’ACTION DIRECTE
Actuellement, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Georges Cipriani et Régis Schleicher sont encore détenus pour des faits ayant eu lieu il y a une vingtaine d’années. S’inscrivant dans la lignée des mouvements révolutionnaires des années 1970, leur organisation revendiquait de nombreuses actions anticapitalistes et anti-impérialistes. Et c’est dans ce cadre que ces militants ont agi.
Régis Schleicher, arrêté en mars 1984, condamné pour complicité dans l’affaire de la rue Trudaine, alors que d’autres inculpés dans le même dossier sont en liberté après avoir purgé leur peine. Georges Cipriani, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et Jean-Marc Rouillan ont été arrêtés en février 1987 et condamnés à l’emprisonnement à perpétuité par une cour spéciale composée de magistrats, sans jurés populaires. Cela par
l’application rétroactive de la loi dite antiterroriste de 1986 qui créait cette juridiction spéciale.
Ils ont connu des conditions d’incarcération particulièrement difficiles :
. plusieurs années d’isolement total,
. courriers censurés, régulièrement bloqués, communication avec l’extérieur entravée,
. permis de visite délivrés au compte-gouttes et qu’à la seule famille pendant des années.
Il s’agissait de les isoler, de les abstraire de tout contexte social, d’entraver au maximum leurs liens avec l’extérieur. Chaque espace conquis le fut par la lutte (plusieurs très longues grèves de la faim...).
En avril 2004, Joëlle Aubron a des malaises. Atteinte d’une tumeur au cerveau, elle sera hospitalisée et opérée sans que sa famille ait pu la rencontrer, et menottée en permanence sur son lit d’hôpital. Devant la gravité de sa maladie, elle a pu, en juin 2004, bénéficier d’une suspension de peine pour raison médicale (loi Kouchner du 4 mars 2002). Cependant, encore une fois, elle s’était vu attribuer un régime particulier puisqu’elle est la première personne bénéficiant de cette loi à qui l’on a interdit tout déplacement hors de son département d’hébergement. Jusqu’à son hospitalisation dans un établissement médical éloigné, qui a dû être négociée. Mobilité restreinte et haute surveillance.
En janvier 2006 le ministre de la Justice déclarait :
“Quand j’entends que d’anciens terroristes non repentis font leurs courses sur les marchés, alors qu’ils étaient, disait-on, à l’article de la mort... cela m’est insupportable. Les malades, même atteints d’une affection grave mais qui ne sont pas au « seuil de la mort », n’ont pas à bénéficier de cette loi.”
Joëlle est décédée le 1er mars 2006...
Georges, Nathalie et Jean-Marc ont terminé depuis février 2005 la peine de sûreté de 18 ans qui accompagnait leur condamnation à la prison à perpétuité ; Régis depuis 7 ans. Ils pouvaient donc prétendre à une libération conditionnelle. Leurs demandes ont toutes été rejetées.
Victime de deux accidents vasculaires cérébraux en prison, Nathalie n’a jamais bénéficié des soins requis par son état de santé et souffre de sérieuses séquelles (troubles de l’équilibre, de la motricité, pertes de mémoire). Le risque de récidive est connu, le pronostic vital est clairement engagé. La loi Kouchner devrait donc lui être appliquée. Sa demande a été rejetée à trois reprises. De fait, en juin 2005, lors de son passage en commission, les magistrats ont mis en doute sa capacité à travailler au vu de sa santé précaire. Pas assez malade pour profiter d’une libération pour raisons médicales, trop pour sortir en conditionnelle et répondre aux exigences de travail que cette mesure requiert...
Georges, quant à lui, se remet de plusieurs séjours en hôpital psychiatrique qui eurent lieu au cours de son incarcération. Les trop longues périodes d’isolement l’ont fragilisé psychiquement. Pourtant, il restera encore en prison.
Examinées auparavant par la juridiction du lieu d’emprisonnement, les demandes de libération conditionnelle et de suspension de peine pour raison médicale des condamnés pour « actes de terrorisme » doivent l’être désormais à Paris.
Nathalie Ménigon a fait l’expérience de ce nouveau dispositif qui centralise au plus près du pouvoir les décisions concernant les peines des prisonniers politiques : le 9 octobre 2006, elle se trouvait seule à Bapaume face à une caméra, contrainte à être la spectatrice d’une nouvelle parodie de justice ; à 150 km de là, son avocat l’assistait face au juge Bernard Lugan, resté à Paris, à portée de voix du ministère. Il lui était impossible de s’entretenir seule à seul avec son défenseur, comme dans les juridictions habituelles. Le 24 octobre, sa demande de suspension de peine pour raison médicale était rejetée par ce tribunal d’application des peines de Paris « en charge des infractions terroristes ».
Derrière ces refus successifs de les libérer est posée la question incessante de leur repentir. Tant qu’ils ne se renieront pas, ils ne sortiront pas, et demeureront au ban de la société : c’est le message délivré par les différentes juridictions. L’Etat veut leur faire payer leur engagement politique.
Nathalie, Jean-Marc et Georges se retrouveront bientôt devant ce tribunal pour des demandes de libération conditionnelle. Régis, qui pensait sortir rapidement, vient de se voir notifier qu’il ne pourra présenter de demande avant 2009, soit 25 ans après son arrestation !!. Raison invoquée : une tentative d’évasion en 2003 pour laquelle il a été condamné récemment à 5 ans de prison ; ainsi, il ne peut poser de conditionnelle qu’à mi-peine, après... la condamnation ! (Ce qui n’est pas la règle en la matière, le jugement partant de la date des faits en procédure « normale ».)
Juridictions spéciales... jusqu’au bout !
Depuis le 23 janvier 2006, de nouvelles dispositions régissent le traitement des demandes de liberté conditionnelle des camarades d’Action directe : un article de la loi promulguée à cette date institue en effet une nouvelle juridiction spéciale, sous prétexte de lutter contre le terrorisme.
Après les mesures prises pour la garde à vue lors de leur arrestation, les conditions particulières appliquées lors de la détention, l’institution de cours d’assises spéciales (uniquement composées de magistrats) pour leurs procès, c’est maintenant une structure centralisée qui est chargée d’examiner leurs demandes de libération conditionnelle.
Jusqu’au bout, l’État français met en place des juridictions spéciales dans sa guerre contre les militants révolutionnaires. Huit textes en dix ans et trois textes récents : la notion de « terrorisme » entraîne une véritable inflation de dispositions pénales qui vont toujours plus loin dans l’installation de juridictions spéciales, sans même parler de l’arsenal progressivement mis en place dans l’Union européenne. Il n’y a pas qu’aux États-Unis que l’on assiste à la disparition progressive des derniers garde-fous susceptibles de s’opposer à la toute-puissance de l’État.
En janvier 2006 a été promulguée la « loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ». Parmi les décisions, applicables aux militants révolutionnaires emprisonnés, l’article 14 concerne les demandes de mise en liberté conditionnelle. Celui-ci indique :
« Par dérogation aux dispositions de l’article 712-10 [du code de procédure pénale], sont seuls compétents le juge de l’application des peines du tribunal de grande instance de Paris, le tribunal de l’application des peines de Paris et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Paris pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées pour une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706-16, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné. »
« Ces décisions sont prises après avis du juge de l’application des peines compétent en application de l’article 712-10. »
« Pour l’exercice de leurs attributions, les magistrats des juridictions mentionnées au premier alinéa peuvent se déplacer sur l’ensemble du territoire national, sans préjudice de l’application des dispositions de l’article 706-71 sur l’utilisation de moyens de télécommunication. »
Cet article indique clairement qu’il s’agit d’une disposition particulière prise pour une seule catégorie de prisonniers et que, dorénavant, toutes les décisions sont centralisées à Paris. Cela concerne aussi bien Nathalie, Jean-Marc que Georges (alors que, jusqu’à présent, c’étaient les juridictions dont leur lieu de détention dépendait qui étaient compétentes).
Si cette loi a donné lieu à quelques mobilisations (concernant la surveillance des accès Internet et des communications électroniques, par exemple), cet article n’a pas attiré particulièrement l’attention. C’est qu’il concerne un nombre très restreint de prisonniers, que l’on agite le chiffon rouge du terrorisme - sous-entendu international - pour le faire passer et que, de toute façon, la prison mobilise encore trop peu.
Et pourtant, c’est bien là le dernier maillon d’une chaîne redoutable qui parachève les dispositions spéciales. Et peut-être le plus redoutable, puisqu’il permet le maintien en détention ad vitam æternam, en remettant entre les mains d’une juridiction particulière la possibilité existant normalement pour chaque détenu d’obtenir une libération.
C’est cette même procédure qu’avait inaugurée le 2 octobre le militant basque Filipe Bidart, en prison depuis près de 19 ans. Sa demande de libération conditionnelle a été refusée le 17 octobre, malgré les avis favorables du directeur de la prison de Clairvaux, du procureur du tribunal de Troyes et du juge d’application des peines de Troyes. Il remplissait en effet toutes les conditions pour en bénéficier (travail, logement, indemnisation des victimes...). Comme l’a affirmé son avocat, qui dénonçait cette décision politique habillée de façon hypocrite avec des arguments juridiques : « L’État veut lui faire payer son engagement politique. »
Nous savons bien que toute libération - surtout pour les prisonniers révolutionnaires - reste de toute façon exceptionnelle et arbitraire. Les chiffres, en France, révèlent combien cette libération est plus que discrétionnaire.
Locales ou non, les juridictions ont toujours été clairement aux ordres du pouvoir. Mais une chose est la pratique et une autre l’institutionnalisation de cette pratique. Aujourd’hui, il est clair et net que c’est l’État, par l’intermédiaire de la juridiction parisienne, c’est-à-dire d’un juge d’application des peines « antiterroriste » siégeant à Paris, qui rendra les décisions. Et c’est cela qui s’inscrit dans la loi !
L’État exige des militants révolutionnaires en prison qu’ils se « repentent », qu’ils renient leurs convictions. C’est le critère qui sous-tend ses décisions. Donc , c’est bien pour leurs idées qu’on les maintient aujourd’hui en prison.
APPEL POUR LA LIBÉRATION DES PRISONNIERS D’ACTION DIRECTE
« Les prisonniers d’Action directe ont terminé la peine de sûreté de leur condamnation à perpétuité. Pour nous, leur peine est accomplie. Quoi que nous pensions de leurs activités passées, nous demandons leur libération dans les plus brefs délais. »
Cette pétition a déjà recueilli plus de 5 000 signatures, parmi lesquelles :
Élus et responsables associatifs, politiques et syndicaux :
AMARA Jean-Claude, porte-parole Droit Devant !! ; AOUNIT Mouloud, conseiller régional IdF ; ASCHIERI Gérard, secrétaire général FSU ; BAUPIN Denis, maire adjoint de Paris (Les Verts) ; BENHIBA Tarek, conseiller régional IdF (Alternatives citoyennes) ; BENHAMIAS Jean-Luc, député européen (Les Verts) ; BESANCENOT Olivier, porte-parole LCR ; BILLARD Martine, députée (Les Verts) ; BORVO Nicole, sénatrice (PCF) ; BOUMEDIENE-THIERY Alima, sénatrice (Les Verts) ; BOVÉ José, Confédération paysanne ; BRAFMAN Jean, conseiller régional IdF (PCF) ; BRET Robert, sénateur (PCF) ; CONTASSOT Yves, maire adjoint de Paris (Les Verts) ; COPPOLA Jean-Marc, conseiller régional PACA (PCF) ; COUPÉ Annick, responsable syndicale USI-Solidaires ; DECAN Françoise, conseillère régionale Limousin (PCF) ; DUBOIS Jean-Pierre, président LDH ; DUTOIT Frédéric, député-maire Marseille (PCF) ; ESPIGAT Marc, conseiller régional Midi-Pyrénées (PCF) ; FREMION Yves, écrivain, conseiller général IdF (Les Verts) ; GAILLOT Jacques, co-président Droit Devant !! ; HAYOT Alain, vice-président conseil régional PACA (PCF) ; HOAREAU Charles, CGT chômeurs ; JACQUART Albert, généticien, co-président Droit Devant !! ; KRIVINE Alain, porte-parole LCR ; LAGUILLIER Arlette, porte-parole Lutte ouvrière ; LEMAIRE Gilles, ancien porte-parole des Verts ; LEVY Albert, co-fondateur du MRAP ; LIPIETZ Alain, économiste, député européen (Les Verts) ; MALBERG Henri, commission justice PCF ; MAMÈRE Noël, député (Les Verts) ; MANCERON Gilles, historien, vice-président LDH ; MARZIANI Charles, vice-président région Midi-Pyrénées (PCF) ; OCL ; PEREZ Martine, conseillère régionale Midi-Pyrénées (PCF) ; RAJSFUS Maurice, historien, président de l’Observatoire des libertés publiques ; REBERIOUX Vincent, secrétaire général LDH ; SALESSE Yves et SIRE-MARIN Evelyne, co-présidents Fondation Copernic ; TUBIANA Michel, président d’honneur LDH ; VIEU Marie-Pierre, conseillère régionale Midi-Pyrénées (PCF).
Culture, enseignement, justice, médias :
ALLEG Henri, journaliste, écrivain ; AUBRAC Lucie et Raymond, anciens résistants ; BALIBAR Etienne , philosophe ; Bastid Jean-Pierre, écrivain, cinéaste ; BENASAYAG Miguel, écrivain ; BENSAÏD Daniel, philosophe, universitaire ; BERURIERS NOIRS, groupe musical ; CABANES Claude, éditorialiste à L’Humanité ; CARLES Pierre, réalisateur ; COMOLLI Jean-Claude, cinéaste ; CQFD, mensuel ; DE FELICE Jean-Jacques, avocat ; EINAUDI Jean-Luc, écrivain ; ÉTELIN Christian, avocat ; GATTI Armand, dramaturge ; HALIMI Gisèle, avocate, ancien ministre ; HAZAN Eric, éditeur ; HIGELIN Jacques, chanteur ; JOLIE MOME, compagnie théâtrale ; LABICA Georges, philosophe ; LEVY Thierry, avocat ; LUZ, dessinateur ; MORDILLAT Gérard, cinéaste ; NASREEN Taslima, écrivaine bangladaise ; ONFRAY Michel, philosophe ; PERRAULT Gilles, écrivain ; QUADRUPPANI Serge, écrivain ; SAINATI Gilles, magistrat, syndicat de la magistrature ; SCALZONE Oreste, écrivain ; SINE, dessinateur ; STRICKER Jean-Marc, journaliste (France Inter) ; TARDI Jacques, dessinateur ; TERRAY Emmanuel, anthropologue ; TERREL Irène, avocate ; UTGE-ROYO Serge, chanteur ; WINCKLER Martin, écrivain.
Adresses de retour de la pétition et contacts :
http://www.action-directe.net
Défense active, 80, rue de Ménilmontant, 75020 Paris
Collectif NLPF c/o LPJ,58 rue Gay-Lussac, 75005 Paris :
http://nlpf.samizdat.net
Adresses des militants d’Action directe incarcérés :
Georges Cipriani
4364/1239
MC Ensisheim
49, rue de la 1re-Armée,
68190 Ensisheim
Nathalie Ménigon
2173 J
CD Bapaume
Chemin des Anzacs,
62451 Bapaume Cedex
Jean-Marc Rouillan
1829
MC Lannemezan
204, rue des Saligues,
BP 166,
65300 Lannemezan.
Régis Schleicher
9484
QI CP Clairvaux
10910 Ville-sous-la-Ferté
Leurs avocats :
Jean-Louis Chalenset, Christian Etelin, Bernard Ripert.
Livres de Jean-Marc Rouillan :
Je hais les matins, 2001, Denoël
Paul des Epinettes, 2002, Agnès Viénot
Le roman du Gluck, 2003, L’Esprit frappeur
Lettres à Jules, 2005, Agone
La part des loups, 2005, Agone
Le prolétaire précaire (avec J. Aubron, N. Ménigon, R. Schleicher), 2001, Acratie
MANIFESTATIONS DE SOUTIEN À VENIR :
Projection-débat de « NI VIEUX NI TRAÎTRES » à Utopia Toulouse le 1er février 2007
Clip audio-vidéo de 1 minute 36, pour cinés, TV ou radio
(voir sur http://193.189.147.16/cmitlse/article.php3?id_article=8301 ou http://paris.indymedia.org/article....)
Concert de soutien le 9 février à Toulouse au « Mange-Disques »
Manifestation devant la prison de Lannemezan le 24 février (rdv 14 heures devant la gare)
Conférence de presse, meeting et remise des signatures en février au ministère de la Justice, à Paris, avec des personnalités signataires de l’appel.
Collectif Sud-Ouest pour la libération des prisonniers d’Action directe
contact : sol.ad@free.fr
Liberté pour les prisonniers d’Action directe
Maquette téléchargeable au format .pdf